Mobiliser les femmes sur leurs risques cardio-vasculaires
Interview du Professeure Claire Mounier-Véhier et de Thierry Drilhon, d’Agir pour le Cœur des Femmes
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La Pr Claire Mounier-Véhier et Thierry Drilhon, co-fondateurs du fonds de dotation Agir pour le Coeur des Femmes - Crédit photo Caleb Krivoshey
Les maladies cardiovasculaires tuent toujours autant et surtout les femmes, alerte Santé publique France dans son nouveau bulletin épidémiologique hors-série publié ce mardi 4 mars 2025
Ainsi chaque année en France, les maladies cardio-vasculaires tuent chaque jour 200 femmes soit une femme toute les 7 minutes, avec des retards significatifs de diagnostic et de prise en charge essentiellement dus au fait d’une méconnaissance de la réalité. Une négligence des symptômes chez les femmes est souvent observée, ils peuvent être pris pour du stress, de la fatigue accumulée ou encore une pathologie digestive. Leur santé passe souvent après le reste. Elles n’ont pas le temps de s’écouter, de prendre soin d’elles, et sont susceptibles plus souvent que les hommes de différer leur rendez-vous de santé.
Également, la pratique de l’automédication courante chez les femmes peut s'avérer dangereuse car elle peut masquer un symptôme d’alerte d’une pathologie parfois grave comme l’hypertension sévère ou encore un infarctus débutant.
La Fondation Agir pour le Cœur des Femmes se mobilise pour alerter, anticiper et agir afin de prévenir les risques cardio-vasculaires chez les femmes. La Pr Claire Mounier-Véhier et Monsieur Thierry Drilhon, cofondateurs de la fondation, ont bien voulu se prêter au jeu de l’interview afin de mieux comprendre leur action dans tout le territoire français avec notamment Le Bus du Cœur des Femmes.
Comment expliquer les inégalités de prise en charge dans les maladies cardio-vasculaires entre les hommes et les femmes ?
Thierry Drilhon : La première raison de ces inégalités serait expliquée par ce pourcentage : 81 % des femmes ne s'occupent pas de leur santé mais de celle des autres, enfants, conjoint, parents (Sondage Elabe 2021).
Également, d’un point de vue épidémiologique, ces inégalités sont liées à la vie hormonale des femmes avec 3 phases de plus grande fragilité d’un point de vue cardio-vasculaire que sont la contraception, la grossesse et la phase de pré ménopause. C’est pourquoi nous parlons de cardio-gynécologie.
La troisième raison est culturelle. Par exemple, si un homme d’un certain âge tombe dans la rue, on pourra en déduire rapidement qu’il fait un arrêt cardiaque. Il sera massé par une personne si elle a été formée aux gestes qui sauve. Une femme qui tombe au même endroit, on peut penser que c’est un malaise vagal avant de penser à un arrêt cardiaque. Trop souvent, on n’osera pas faire le massage cardiaque à cause de ses seins.
Enfin, il y a le sujet des symptômes : 50 % des symptômes sont les mêmes chez les hommes et les femmes et 50 % sont plus fréquents chez la femme. Une femme va se plaindre de fatigue à l’effort, de douleur entre les omoplates et de troubles digestifs, symptômes qui peuvent être liés à un infarctus, tandis qu’un homme ressentira une douleur dans la poitrine irradiant dans le bras et la poitrine. Ce sont ces symptômes qui sont plus fréquemment identifiés et un homme sera donc plus rapidement pris en charge par le Samu.
Pr Claire Mounier-Véhier : Ce sont aussi des maladies dites de l'environnement : les femmes sont soumises à la charge mentale, avec un triple « métier » (famille, épouse et travail), elles fument, ont une alimentation différente, mangent plus salé, sont sédentaires.
Il existe des préjugés de genre et des préjugés de sexe. La médecine a été apprise sur des mannequins d’hommes et symptômes masculins. Nous avons été formés sur le fait que les maladies cardio-vasculaires étaient des maladies d’hommes, exception faite de l’AVC (accident vasculaire cérébral).
Les femmes font davantage d’automédication et reportent dans 75 % des cas leurs rendez-vous médicaux. 40 % des femmes ne sont pas à jour dans leur suivi gynécologique. Elles méconnaissent souvent les symptômes d'alerte cardio vasculaire qu'elles vont attribuer à autre chose : ulcère à l'estomac, ménopause, stress, sciatique... ce qui peut aboutir à des retards de diagnostiques et des pertes de chance.
Il existe également des différences après une hospitalisation pour une maladie cardiovasculaire. Les femmes qui sortent de soins intensifs cardiologiques sont insuffisamment traitées, les ordonnances ne sont pas les mêmes que pour un homme. Elles refusent également souvent d’aller en rééducation.
Les femmes sont-elles davantage victimes de stéréotypes dans le domaine de la santé, d’une façon générale et quelles solutions sont mises en œuvre ?
CMV : Les chiffres sont là, les maladies cardio-vasculaires sont encore la première cause de mortalité pour les femmes. Elles ont un rôle à jouer en étant actrices de leur santé. Il faut des parcours pour elles en dédramatisant les choses.
TD : Au-delà du Bus du Cœur des Femmes, nous avons lancé la Journée du Cœur des Femmes pour faire rentrer la prévention dans les établissements de soins : centres hospitaliers, cliniques, EHPAD…L'objectif, est de couvrir l’ensemble des territoires avec 300 établissements en France dans les trois prochaines années. Mais on ne va pas s’arrêter là. Le repérage et la prévention cardio-vasculaire entrent également dans le monde de l'entreprise en 2025.
Y a-t-il des périodes de leur vie où les femmes sont davantage à risque de développer une maladie cardio-vasculaire ?
TD : Ce que nous observons à partir des dépistages réalisés avec le Bus du Cœur des Femmes, c’est d’abord un risque durant toute la phase de contraception. Beaucoup des femmes que nous avons vues avaient des facteurs de risques et une contraception inadaptée. Il y a ensuite la pré ménopause, une phase importante de transformation pour les femmes. Enfin, tout au long de la vie, la charge mentale des femmes peut augmenter les risques.
CMV : Les femmes ont des facteurs de risques spécifiques qui évoluent en fonction de leur phase hormonale avec 3 périodes de repérage.
La première est liée à la contraception. Il est important de préparer sa consultation avec un gynécologue en se renseignant sur les antécédents familiaux d'accidents artériels (AVC, veineux, phlébite, embolie pulmonaire…) contre-indiquant la prescription d’œstrogènes de synthèse.
Ensuite, vous avez la période de la grossesse. Les grossesses multiples et tardives sont de plus en plus fréquentes. Or, le cœur, l'utérus et les artères utérines ne sont pas les mêmes chez une femme de 35-40 ans que chez celles de 20 ans ou 25 ans engendrant des grossesses à risque. Un repérage des facteurs de risques par le médecin avant tout projet de grossesse est très important.
La troisième phase est la péri ménopause. Certaines femmes (ayant eu certains traitements de cancers ou suivi une fécondation in vitro) ont des insuffisances ovariennes prématurées et ne sont plus réglées à partir de 40 ans, ce qui est un facteur de risque cardio-vasculaire majeur. Un vrai suivi cardio-gynécologique est nécessaire à la ménopause.
Il existe en fait un continuum du risque tout au long de notre vie de femme avec un moyen d'agir : la prévention et le repérage.
Comment se protéger du risque cardio-vasculaire et quels conseils donneriez-vous aux femmes ?
TD : La première chose c'est de s’écouter et de ne pas se dire : « ça va passer ». Mon deuxième message est : pas d'automédication, une douleur brutale et atypique est un signe d’alerte et il faut savoir l’écouter et appeler le 15 si nécessaire.
Enfin, ne sautez pas vos rendez-vous médicaux et préparez-les.
Nous avons trop souvent des témoignages de femmes nous disant, après l’accident et la maladie : si j'avais su !
Nos trois priorités sont donc d’alerter, anticiper et agir ce qui nous permet de mobiliser et d’informer autour de cette urgence médicale et sociétale. Les maladies cardio-vasculaires peuvent être évitées dans 80 % des cas grâce à la prévention et au dépistage.
Les meilleurs conseils sont de vous écouter, d’écouter vos symptômes d'alerte et de prendre soin de vous, de votre cœur et vivre plus longtemps en bonne santé sans insuffisance cardiaque, le cancer du cœur !
Le Bus Cœur des Femmes
Ce dispositif itinérant lancé en 2021 par Agir pour le cœur des femmes vise à dépister les femmes en situation de vulnérabilité, partout en France. En trois jours, près de 300 femmes peuvent bénéficier d'examens médicaux, gynécologiques et de prélèvements, avec des bilans complets et une formation à l'auto-mesure de la tension. À la fin du dépistage, un parcours de soins et des rendez-vous sont proposés. Ce programme permet aussi de fédérer des professionnels de santé pour travailler sur les spécificités cardio-gynécologiques. Depuis sa création, 15 000 femmes ont été dépistées dans le cadre d’un Observatoire national de la santé des femmes.
- En savoir plus sur la fondation Agir pour le Cœur des Femmes
- Retrouvez des informations complémentaires sur le site santé.fr : 200 femmes décèdent chaque jour en France d'une maladie cardiovasculaire