Evénement de soutien aux femmes afghanes
Publié le |
Discours de Madame Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, le 23 juin 2022.
Seul le prononcé fait foi
Photo : Ministères sociaux – DICOM – Jeanne Accorsini – SIPA
Madame la ministre, chère Najat,
Monsieur l’ambassadeur de France en Afghanistan, cher David Martinon,
Madame Aman, chère Hamida,
Mesdames et messieurs, bonsoir,
Je me réjouis de vous réunir aujourd’hui, ici dans ce ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes, pour évoquer avec vous un sujet grave.
***
Il y a 312 jours, à la faveur du bruit assourdissant des canons, une longue nuit s’est abattue subitement sur Kaboul.
Une nuit sans aube.
Le 15 août 2021, les Talibans ont pris la capitale afghane.
Et l’histoire a basculé tout à coup.
L’Afghanistan s’est emmurée dans l’obscurité.
Sous les yeux sidérés du monde entier, le pays s’est transformé en un gigantesque enfer à huis clos.
La peur s’est installée partout – dans les rues comme dans les âmes – et le pays s’enfonça dans le chaos.
À la panique soudaine succédèrent les portes fermées à double tour.
Depuis l’arrivée des Talibans au pouvoir, les droits des jeunes filles et des femmes ont progressivement été bafoués, reniés, déchirés.
Leurs visages, qui ornaient les devantures des magasins, ont peu à peu été gommés.
Le port de la burqa a été établi dans la rue.
Les femmes ont été exclues des sphères économiques et médiatiques, des lieux de pouvoir, des universités et – ultime coup de semonce – de l’école passé douze ans.
Des droits fondamentaux de liberté et d’égalité que les femmes afghanes avaient conquis de haute lutte ces deux dernières décennies et dont elles s’étaient résolument emparées.
Ce coup de tonnerre constitue une régression sans précédent.
Il s’agit pourtant de droits inaliénables.
Des droits qui ne sauraient souffrir d’aucune équivoque.
Car derrière cette régression, ce sont des rêves brisés ; ce sont des destins corsetés.
Oui, l’Afghanistan est devenue une prison à ciel ouvert pour toutes les Afghanes.
La talibanisation du pays – que la jeune génération n’a pas connue – rime avec oppression des femmes.
Et c’est la défense de leur liberté qui nous réunit aujourd’hui.
Des Afghanes dont le courage nous couvre d’humilité et nous oblige.
Sous l’œil des kalachnikovs, elles n’ont eu de cesse – depuis le 15 août 2021 – de descendre dans la rue pour défendre leurs droits les plus élémentaires.
Sur les cendres de leur liberté, à Hérat, à Kapisa, à Takhar, elles ont défié l’obscurantisme ; parfois au péril de leur vie.
N’en déplaise aux nouveaux maîtres du pays, ces femmes sont l’honneur de l’Afghanistan.
Et j’ai l’intime conviction qu’elles sont aussi le visage de son avenir.
***
Mesdames et messieurs,
Personnellement, même à sept heures d’avion, j’ai vécu dans ma chair le retour des Talibans ce soir du 15 août 2021.
S’en prendre aux Afghanes, c’est s’en prendre à toutes les femmes.
S’en prendre à toutes les femmes, c’est s’en prendre à 52% de l’humanité.
Je me suis sentie impuissante.
Alors, encore juge, j’ai pensé à mes consœurs – à mes sœurs –, dont deux d’entre elles avaient été assassinées et dont la plupart étaient menacées.
Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré l’association « Afghanistan Libre » présidée par Chékéba Hachémi.
Et comme certains visages familiers ici présents, j’ai participé à un magnifique calendrier pour la dignité des Afghanes.
Et puis lors d’un évènement à l’UNESCO, j’ai fait la rencontre d’Hamida Aman.
***
Chère Hamida,
Remettre les femmes à l’honneur, leur permettre de recouvrer à la fois dignité et existence, c’est l’essence même de Radio Begum.
« Begum » était d’ailleurs un titre que l’on octroyait jadis aux femmes de Maharajas sous l’empire mongol et qui, aujourd’hui, enveloppe de noblesse les femmes afghanes.
Depuis le 15 août 2021, sous la pression des Talibans, des centaines de médias ont été fermés.
Au sein de ce paysage médiatique atrophié, nantie de peu de choses mais armée d’une volonté de fer et de faire – F.A.I.R.E –, Radio Begum est née le 8 mars 2021, Journée internationale des droits des femmes, dans un contexte où l’orage taliban menaçait déjà le ciel afghan.
Radio Begum, c’est une radio par les femmes pour les femmes.
Et c’est une oasis de liberté.
Une oasis précaire, passée sous le tamis de la loi islamique, mais qui a vocation à faire exister la voix des femmes avant qu’elle ne soit réduite au silence.
Ouverte 24 heures sur 24, couvrant plus de huit provinces dans les deux langues nationales, le pashto et le dari, Radio Begum compte aujourd’hui douze journalistes femmes et trois techniciens hommes.
Chère Hamida, Radio Begum est un îlot de résistance.
Et je tiens à vous en féliciter chaleureusement.
Grâce à vous, sur vos ondes, la voix des Afghanes existe encore.
Cette soirée est à la fois un hommage et un soutien résolus.
***
Mesdames et messieurs,
À plusieurs reprises, la France a condamné les politiques de répression et d’exclusion systématique des filles et des femmes en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des Talibans.
Au-delà des injustices individuelles intolérables qu’elles constituent, ces politiques sont des violations des conventions internationales que l’Afghanistan a ratifiées.
Et le Président de la République, Emmanuel Macron, a fait de l’amélioration de la situation des filles et des femmes une condition absolument sine qua non de la reconnaissance du régime en place.
Oui, les droits des femmes sont des droits humains.
Non, ces droits ne se négocient pas.
Non, pour la France, la dignité des Afghanes n’est pas un enjeu de second rang.
La communauté internationale a, elle aussi, réagi de façon très forte et très claire.
Le 24 mai dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a exprimé sa très vive préoccupation quant au sort réservé aux femmes en Afghanistan.
Le Conseil de sécurité a ainsi condamné les restrictions limitant :
- Leur accès à l’emploi et à l’éducation ;
- Leur participation à la vie publique ;
- Ainsi que les atteintes à leur liberté de mouvement.
Un enjeu que le Conseil a, à nouveau, évoqué aujourd’hui il y a quelques heures à New-York.
***
Mesdames et messieurs,
L’Afghanistan de demain ne pourra se bâtir sans les femmes.
Elles sont la voix de l’espoir.
Une voix dont nous devons faire résonner l’écho hors des frontières afghanes.
C’est aussi la vocation de Radio Begum et c’est – à la place qui est la mienne – la mission que je me suis assignée et que je mènerai aux côtés de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna.
Car pour reprendre les mots de Habiba Sarabi, lauréate du Prix Simone Veil de la République française : « sans la participation des femmes, il n’y aura pas de paix durable ».
Les Afghanes doivent pouvoir aller à l’école.
Elles doivent pouvoir travailler.
Elles doivent pouvoir être représentées dans les sphères médiatiques, publiques ou politiques.
Elles doivent pouvoir prétendre à une vie libre, sans violence ni contrainte.
La liberté et l’égalité ne sont pas réservées à un genre.
Ce sont des valeurs universelles, dont on ne saurait priver 50% de la population afghane.
Dans ce contexte, nous nous tenons – tous ici présents – résolument aux côtés des filles et des femmes de ce pays.
Ce soutien est sans condition.
Ce soutien est intangible.
Ce soutien ne saurait être altéré tant que les cerfs-volants de la liberté ne voleront pas à nouveau dans le ciel de Kaboul.
Et avant de céder la parole à Hamida, je tiens à remercier particulièrement Guila Clara Kessous d’avoir initié cet évènement.
J’aimerais que les filles et les femmes afghanes puissent ce soir savoir que des femmes et des hommes à Paris pensent à elles.
Qu’elles puissent savoir qu’elles ne sont pas seules.
Enfin, il m’est impossible de ne pas avoir un mot et une pensée émue pour le millier de victimes du séisme qui a endeuillé le sud-est du pays il y a 48 heures.
Un drame supplémentaire pour un pays en pleine crise.
Je vous remercie toutes et tous pour votre présence et je vous invite à présent à visionner un clip vous présentant Radio Begum.